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Pierre-Yves Gallard

Le style paradoxal des moralistes classiques : Montaigne, Pascal, La Rochefoucauld, La Bruyère

Sous la direction de Anna Jaubert

Soutenue à Nice le 10 décembre 2016

Ce travail interroge l’affinité entre le paradoxe et le discours des moralistes, tel qu’il se développe de Montaigne à La Bruyère : il étudie l’appropriation d’un fait de langue et sa requalification en fait de style.

La première partie de cette thèse définit un cadre théorique pour l’analyse stylistique du paradoxe. Nous y défendons une approche figurale de notre objet, que nous définissons comme la représentation d’une contradiction par des moyens verbaux : le paradoxe met en œuvre une contradiction manifeste, qui se présente comme telle et qui, par conséquent, appelle une interprétation. La figure orchestre un conflit logique et sémantique qui provoque l’entendement, elle génère une tension énonciative qui engage le récepteur à (r)établir sa pertinence. Une telle définition fonde une analyse pragmatique, centrée sur l’effet produit par le paradoxe ; elle n’évacue pas les critères de reconnaissance formels, mais plaide pour une approche globale, sensible aux variations qui affectent les emplois de la figure en discours. Nous montrons ainsi que l’appropriation du paradoxe à des contextes, à des codes esthétiques et à des enjeux communicationnels variables entraîne la diversification des formes de l’écriture paradoxale. Nous soulignons plus particulièrement la gradualité de la figure, dont la structure prototypique s’actualise selon diverses modalités et se déploie aussi bien à l’échelle du syntagme ou de la phrase, que du paragraphe, de la page ou du chapitre.

Cette plasticité du paradoxe détermine sa capacité à constituer, pour notre corpus, un principe organisateur. Le paradoxe apparaît en effet comme un « motif » de la prose moraliste : il s’impose comme une forme-sens qui assure la transition entre les niveaux de lecture, compose des réseaux intertextuels entre les œuvres que nous étudions et détermine leur cohésion textuelle particulière, tendue entre rupture et liaison. En outre, les nombreuses occurrences de la figure font l’objet d’un surinvestissement énonciatif : elles concentrent les enjeux interprétatifs et jouent le rôle de balises au sein des œuvres discontinues sur lesquelles nous travaillons. Nous montrons ainsi comment l’exploitation systématique et motivée du paradoxe par les moralistes classiques promeut la figure au rang d’étymon stylistique : forme matricielle investie d’un rôle ordonnateur, le paradoxe façonne une pensée et informe un discours au point d’apparaître comme un emblème de la prose moraliste.

La dernière partie de notre thèse examine les différents usages du paradoxe et étudie ce qu’ils révèlent des soubassements épistémologiques de l’entreprise moraliste. L’enjeu est à la fois d’établir une pragmatique du paradoxe et d’interroger l’épistémè des moralistes classiques, d’éclairer leur rapport à la vérité et aux conditions linguistiques de son expression. Deux lignes directrices orientent notre étude : le dialogue avec le scepticisme et la défiance vis-à-vis du langage. Les paradoxes de notre corpus témoignent en effet d’une méfiance à l’encontre des savoirs établis et des discours préconstruits ; plus fondamentalement encore, ils manifestent un soupçon vis-à-vis de la raison elle-même et une incertitude quant à la capacité du discours à atteindre le vrai. Ils participent ainsi au déploiement d’une morale contradictoire et réflexive, tendue entre l’assurance de posséder de l’homme une réelle connaissance, et l’inquiétude de prolonger par son discours le règne de l’illusion.

publié par Damon Mayaffre - mis à jour le