Accueil > Actualités > Colloques et Journées > Lyrisme et oralité dans la poésie africaine d’expression française

LIEN ZOOM sur demande à veronique.magri@univ-cotedazur.fr

Lyrisme et oralité dans la poésie africaine d’expression française

16-17 novembre 2023 - MSHS-SE, Campus SJA 3 - Nice

LIEN ZOOM SUR DEMANDE A veronique.magri@univ-cotedazur.fr

Lyrisme et oralité dans la poésie africaine d’expression française
MSHS-SE, Nice, France
16-17 novembre 2023

L’ambition de ce colloque est de réunir deux notions, dont il s’agit d’abord de cerner les contours, et d’envisager les relations au sein d’un corpus particulier, celui de la poésie africaine d’expression française.

La poésie lyrique est à l’origine chantée et la dimension musicale de ce type de poésie est marquée en particulier par la présence de refrains, dès l’ancien français. (Michel Jarrety, La Poésie française du Moyen Âge au XXe siècle). Si le lyrisme, notion qui dépasse le genre de la poésie lyrique, a fait l’objet de multiples ajustements définitionnels, on retiendra la description de Valéry qui, loin d’en faire une forme d’expression d’un « moi » replié sur lui- même, y voit au contraire une forme d’expansion du « moi » qui atteint à l’universel, écrivant ainsi que « le lyrisme est la voix du moi, portée au ton le plus pur, sinon le plus haut. Mais ces poètes parlent d’eux-mêmes, comme les musiciens le font, c’est-à-dire en fondant les émotions de tous les événements précis de leur vie dans une substance intime d’expérience universelle » (Villon et Verlaine). J.-M. Maulpoix articule le lyrisme à une voix, à une parole en action, qui célèbre la fusion de l’être et la langue :
Dans le lyrisme, le langage se désire parole. Il perd son inertie, s’articule dans une voix, conquiert une pluralité de sens, s’organise comme son et comme sens, subjectif et objectif tout à la fois. L’être et la langue révèlent alors leur réciproque appartenance ». (http://www.maulpoix.net/notes.html).
Le lyrisme constitue un dialogue, une tension, un « entre-deux » entre impersonnel, transpersonnel, dépersonnalisation, décentrement mais aussi, comme l’explique Dominique Rabaté, ancrage dans la réalité, l’anecdote, la référence, la circonstance concrète acquérant par le texte valeur durable et partageable. Comme le montre Philippe Beck, le moment où le moi se dit, c’est un moment impersonnel, le moment où l’amour, la mort se disent de façon intense, serrée, tenue, c’est un moment impersonnel, un moment d’impersonnalité paradoxale. Dans cette intensité lyrique impersonnelle, le ‘je’ et le ‘tu’ restent anonymes, le ‘tu’ c’est la voix du poème, l’autre en soi, tout le monde, n’importe qui. Le lyrisme, c’est paradoxalement ce qui est le plus singulier, cette émotion, « sans mesure commune », mais qui devient commune, le plus incommunicable devenant aussi le plus commun. Il s’agit d’amener l’absolu singulier dans les parages du commun, le lyrisme étant, comme le montre Michel Collot, un mouvement qui part du plus intime, du plus circonstanciel, pour se projeter dans le monde et les mots et devenir communicable.

À la notion de lyrisme s’ajoute celle d’oralité. La vocalité, comme production et perception d’une voix dans la poésie, croise la notion d’oralité. L’opposition de l’écrit et de l’oral est une des plus importantes distinctions de l’analyse du discours (Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours) et s’appuie sur la différence des canaux de communication. La poésie n’est pas seulement acte d’écriture. Elle est aussi oralité, acte de parole. L’insistance des poètes sur la matière-souffle du poème, très comparable à l’insistance des peintres sur la matière-couleur du tableau, dit bien ce privilège constant de la phôné, de la voix comme présence résistante de quelqu’un qui parle. Or qu’en est-il de la parole ? L’Occident sait très bien, même inconsciemment, que ce qui risque de remettre en question les bases d’une société pré-établie, c’est ce qui dans le mot reste imperméable au concept, au sens, à l’écriture. La matière de la voix, le grain phonique du poème, c’est sa façon, si ignorée, de narguer le concept.
L’immédiateté de l’énoncé oral et l’interaction communicationnelle sont pointées de manière poétique dans cette citation comme caractéristiques de l’oral : « L’oral réunit des interlocuteurs autour de l’étincelle de la signification, tandis que l’écrit laisse couver le feu d’un sens qui se rallume à la demande. » (Jean Bellemin-Noël, Biographies du désir). L’oralité dans un texte littéraire écrit est à problématiser, non seulement comme insertion de fragments d’énoncés oraux mais comme travail sur la langue ; elle s’oppose à la scripturalité par des propriétés liées à l’immédiateté de la communication et à la performance orale impliquant un échange avec l’auditoire et une mise en contexte ou une mise en scène. « L’oralité est le rapport nécessaire dans un discours, du primat rythmique et prosodique de son mode de signifier à ce que dit ce discours. L’oralité est collectivité et historicité ». (Henri Meschonnic, Critique du rythme).
Elle coïncide avec l’idée d’un échange réciproque du passé et de l’avenir. Cet échange, prenant en charge la totalité du temps, peut être dit « collectivité », « communauté », non seulement comme formes communes déroulées par l’histoire du politique, mais une communauté de sens plus large, englobant tout rapport des humains entre eux et avec l’univers. L’oralité renvoie à l’idée de peuple et de communauté. Elle est reliée profondément au plus ancien qu’il s’agisse des formes les plus reculées d’oralité, ou des communautés régies par le mythe. Elle est reliée à la vérité, au sens de décision de « ne pas oublier ». Elle est reliée au non-conceptuel, le concept étant « volatilisé » par la force du souffle qu’expriment le mot et sa connotation prélogique. Elle est reliée enfin au cosmos, car elle amoindrit la place du sujet-roi, et fait « revenir le monde » dans un voyage « au dehors ». Si l’on peut ainsi le dire, l’oralité est l’entre-langue des hommes les moins touchés par le concept. Elle est à la fois l’englobant et le socle à partir desquels peuvent s’échanger les cultures les plus différentes, les époques les plus éloignées, les conceptions les plus diverses du monde. On retrouve donc, dans l’oralité, la politique au sens large (la question de la communauté), la vie dans son dialogue fort avec la mort, la tradition et la traduction, l’ekphrase, l’exigence d’universalité et, plus en détail, le rythme. Plus précisément, l’aspect novateur de l’oralité est ce mouvement d’échange et de retour du passé vers l’avenir, des cultures les plus anciennes aux plus récentes. La novation vient d’une résistance aux tendances pseudo-progressistes qui veulent abandonner le « passé » et valoriser toujours plus la figure emblématique de l’homme et ses productions, ce qui revient à négliger ce sans quoi elles seraient impossibles, la terre-paysage qui les supporte, les êtres non-humains, la voix très ancienne qui remonte le cours de l’histoire, et cette lutte fragile entre vie et mort, qui nous donne énergie d’exister. Comme le montrait Orphée et son chant qui séduisait le monde entier, les pierres, les arbres, les animaux, et non pas seulement les hommes, la poésie, le carmen, dans son alphabet, ses référents et ses gestes magiques, est une profonde pensée du monde dont les options coïncidaient avec ce même Mythe. La parole lyrique reste indéfectiblement liée au cosmos, à la nature, aux règnes du minéral, du végétal, de l’animal, aux forces élémentaires, aux morts et aux ancêtres, aux générations, à la terre, à la naissance et à la mort, aux esprits en tout genre, à toutes les puissances incommensurables, mais que le moindre pouvoir effarouche. Elle minore le sujet, fait venir le monde, et bâtit un monde en abrégé. Au lieu d’un regard méprisant, rapide ou cupide, elle abrite timidement, car il est très fragile, un regard émerveillé, réservé, parfois balbutiant, toujours au niveau de la chose. Elle opte, depuis toujours et pour toujours, pour l’objet autant que pour le sujet, la chose autant que la pensée, le non-vivant autant que le vivant, l’inconscient et l’involontaire autant que la volonté indomptable et tendue vers une fin. Elle est inclusive et immanente. Elle accueille tout le réel. Comment ne pas comprendre alors, de la façon la plus évidente, que la parole lyrique sera l’image même de la résistance la plus profonde, non seulement une résistance en acte, mais une résistance à un type de pensée qui conduirait, si on lui laissait le champ libre, à exclure du monde la quasi-totalité de sa différence et de sa réalité vive ?

L’Afrique apparaît comme un monde de la parole qui se réalise dans des genres oraux, comme les contes, les proverbes, l’épopée qui s’accompagnent de musique, de chant et qui engagent le corps dans la danse et le mime, et dans une moindre mesure dans les devinettes, les berceuses, les comptines (Jean Derive, Littératures orales francophones, introduction). L’oralité apparaît comme un mode de culture et de civilisation qui implique un art oratoire, ritualisé, destiné à préserver un patrimoine culturel. Contrairement aux civilisations occidentales, dans la hiérarchie oral / écrit, c’est l’oral qui l’emporte dans la culture traditionnelle africaine : la parole orale, en raison de son immatérialité, ne peut être effacée. La parole est également performative au sens linguistique du terme : la profération de l’énoncé réalise l’action, comme le font les formules de bénédiction ou même l’emploi des noms propres qui donnent l’existence.
De nombreux travaux ont postulé l’existence d’une identité propre de l’écriture poétique africaine qui serait tributaire de la poésie orale traditionnelle. L’enjeu de ce colloque est d’évaluer comment l’oralité, telle qu’elle se réalise dans la poésie africaine francophone, agit sur le lyrisme, comment elle en réévalue les contours et pourrait en proposer une définition ajustée. L’héritage de l’oralité africaine est revendiqué par Senghor par exemple (Postface d’Ethiopiques) et se retrouve dans des « rythmes syncopés ». « Seul le rythme provoque le court-circuit poétique et transmue le cuivre en or, la parole en verbe ». Sur le plan diachronique, il est commun de distinguer deux générations et en particulier celle des post-négritudiens qui sans doute se démarquent davantage des poncifs de l’africanité et pour lesquels certains parlent de « poètes oralistes ».

L’enjeu de ce colloque est d’observer la rencontre du lyrisme et de l’oralité au niveau formel de l’analyse macro et microstructurale des poèmes. Les points d’attention pourraient concerner les points suivants :

 La question de l’ethos qui émane de l’instance du scripteur et qui ouvre sur la question du ton à donner aux poèmes, sur les indices de la perception d’une voix.
 La question du locuteur dans les poèmes ou de l’animateur de la parole (Goffman).
 La vocalité dans l’écrit et les opérations d’actualisation de la langue au discours qui
témoignent de la présence d’une voix.
 Les enjeux pragmatiques des poèmes et les interactions entre les gestes de montrer et
de dire réalisés au travers des mots.
 La reconnaissance de propriétés traditionnellement associées au « parlé » comme
traces de l’oralité : la spontanéité, l’expressivité, la familiarité par exemple.
 Le potentiel signifiant du rythme comme principe organisateur du poème, dans ses
jeux possibles entre écrit et oral, entre espace et temps.
 La répétition comme composante figurale et « signifiance incarnée » (Emmanuelle
Prak-Derrignton) ; comme geste vocal de l’incantation.
 La question des relations de l’oralité et du mythe.
 La question de la force de résistance de l’oralité et de la parole lyrique.
 La question d’une communauté à travers l’oralité et le chant lyrique.

Calendrier :
Les propositions de communications d’une page environ sont attendues pour le 1er juillet 2023 aux adresses suivantes :
beatrice.bonhomme@univ-cotedazur.fr ;
veronique.magri@univ-cotedazur.fr

publié par Odile Deangeli le