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Cycle BCL - Marc Debono (Université de Tours)

Idéologies scientifiques/dogmes dans la recherche en sociolinguistique (et en didactique des langues) : empirisme et réflexivité

Jeudi 14 décembre 2023 - 10h - Salle 213 - BCL, Campus SJA 3

Abstract

Un travail récent sur l’intervention des sociolinguistes et linguistes au tribunal m’a amené à distinguer deux « régimes de vérité » (Supiot, 2014), que l’on peut autrement appeler « modes d’existence » (avec B. Latour, 1991, à la suite de Simondon) : le droit et la science, sociolinguistique en l’occurrence (Debono, 2023). Cette distinction était orientée vers une interrogation : pourquoi les linguistes intervenant dans les prétoires reproduiraient-ils vis-à-vis du droit une relation de type hégémonique, hégémonie du mode d’existence scientifique qui constitue la caractéristique (problématique) de notre modernité selon B. Latour ? D’autres manières de créer du « vrai » existant (le droit en est une), il convient de les respecter comme des altérités pour penser la relation que la recherche en sociolinguistique peut entretenir avec elles. Pour un sociolinguiste, ne pas le faire serait d’autant plus paradoxal que la sociolinguistique a à faire, depuis fort longtemps, à un autre « mode d’existence » ou « régime de vérité » : le politique. Et l’on accuse d’ailleurs bien souvent cette branche des sciences du langage de ne pas distinguer ce qui relèverait de l’engagement militant et idéologique de la recherche scientifique. Cet entrelacs entre idéologie politique et science est bien illustré par le propos réflexif de N. Gueunier, pionnière de la discipline en France :

« Il est de fait bien connu que la génération des sociolinguistes des années 1970 (dont j’ai l’honneur de faire partie) a difficilement séparé, au départ, ses objectifs scientifiques de ses objectifs militants, qu’ils soient directement politiques (défense des minorités politiques) ou sociaux (lutte contre les inégalités scolaires et autres). Dans bien des cas, il en est en résulté maints discours un peu dégoulinants de vertu apitoyée sur les “malaises”, “mal être” et autres souffrances, auxquelles nous entendions remédier de notre vivant, bardés des armes d’une science que nous découvrions, mais parfois insoucieux des présupposés théoriques et des précautions méthodologiques qu’exige celle-ci » (Gueunier, 2002 : 39).

On comprend ici à la fois la prise de conscience de la prégnance originelle (et peu discutable) de l’engagement militant en sociolinguistique, toujours central, et de la supposée nécessaire mise à distance des idéologies politiques (ce qui est discutable), les « présupposés théoriques » et « des précautions méthodologiques » étant requis pour « faire science ». À partir de là, la question qui se pose est simple : comment discuter du mélange de régimes de véridiction dans mon/mes domaines de recherche (je ferai des incursions en didactiques des langues) ? Avec une question corolaire : si les idéologies linguistiques constituent depuis longtemps un objet d’étude privilégié de la sociolinguistique francophone, que fait-on des idéologies des sociolinguistes dans la recherche en sociolinguistique ? Le statut accordé à l’empirisme, fondateur de la sociolinguistique naissante (cf. Calvet, 1999 sur la conférence séminale de 1964 à l’UCLA), peut-il par exemple être qualifié d’idéologie scientifique, ou de « dogme » (au sens que donne P. Legendre à ce terme) ? Et la réflexivité (cf. Gueunier supra), devenue d’usage relativement commun dans les champs de recherche sociolinguistique et didactique, peut-elle vraiment servir à une prise en compte de ces idéologies/dogmes dans la recherche ?

Bibliographie

Calvet, Louis-Jean (1999), « Aux origines de la sociolinguistique, la conférence de sociolinguistique de l’UCLA (1964) », Langage et Société, n°88, pp. 25-57.
Debono, Marc (2023), « Vérité scientifique et vérité légale : liaisons dangereuses entre droit et science du langage au prisme de la fiction », dans Léger, L., McLaughlin, M. et Urbain, E. (dir.), Appartenances, marchés et mobilités : Penser la valeur des langues Paris : L’Harmattan, pp. 47-58.
Gadamer, H.-G. (1960 [1996]), Vérité et Méthode, trad. E. Sacre, Paris : Seuil.
Gueunier, N. (2002), « L’insécurité linguistique : objet divers, approches multiples », dans A.
Latour, B. (1991), Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris : La Découverte.
Legendre, Pierre (1999), Sur la question dogmatique en Occident, Paris : Fayard.
Supiot, A. (2014), « L’autorité de la science. Vérité scientifique et vérité légale », dans P. Rosanvallon, Science et démocratie, Paris, Odile Jacob.

publié par Morgane Ftaïta le